le « professionnalisme-subventionné » ou la nouvelle colonisation

Publié le par Collectif Saint-Pardoux Citoyen

Préambule :

Que l’on ne se méprenne pas, ce n’est pas une détermination contre le financement de : la recherche (quoique qu’il puisse là aussi y avoir questionnement), la sécurité sociale, l’école, l'enseignement même des musiques … bref, tout ce qui peut-être de l’ordre de « services publics » s’ils sont bien sûr pour tous et gratuits.

Cependant face à la prolifération de ce que nous appelons le « professionnalisme-subventionné » où l'on entrevoit comme du "néocolonialisme-entrepreneurial", la préoccupation de cette lettre est d'essayer d'ouvrir réflexions voir débats sur les subventionnements qu’ils soient :

- Culturels (dans notre région plus de 172M€ en fonctionnement culturel contre 46M€ d'investissement)

- Agricoles, quand l'on sait qu’idem, 80% vont aux gros exploitants agricoles pollueurs qui contribuent au déséquilibre planétaire.

- Politiques quand demain le FN premier parti de France sera le premier subventionné.

- Idem pour d’autres sujets comme l’information, quand l’on subventionne toujours les mêmes journaux et que l’on ne favorise même pas la distribution des autres comme le Monde-Libertaire obligé de disparaître des kiosques l’année dernière… etc. …

Radotage peut-être mais comme souligné dans cette lettre ouverte : la culture-monde assistée de cet outil « le professionnalisme subventionné » est un piège, un moyen d’être les mêmes et d’y réduire les autres.

Aujourd'hui les "subventionneurs" et les subventionnés deviennent seuls décideurs, les autres abandonnés relégués au rang de spectateurs mais surtout payeurs…

Écologiquement ou socialement nous serons obligés de sortir de ce système la problématique étant : Sera-ce de façon civilisée ou sera-ce de façon barbare ?

La conviction de cette démarche demeure que néanmoins plus on attend plus l’écueil semble sanglant....

le « professionnalisme-subventionné » ou la nouvelle colonisation

Thierry FRERET Printemps 2015

Producteur à contrecœur plus héliciculteur que paysan

Plutôt violoneux (plus acteur que spectateur)

à la Sinvelinière de saint Pardoux (79310)

Une lettre ouverte suite à l’exposé de Jérémie Piolat dans le cadre des IX ASSISES DU CPMDT (collectif d'artistes professionnels du secteur des musiques et danses traditionnelles) à la MCP (Maison des Cultures de Pays) de Parthenay et au dernier Café-Gâtine autour des musiques traditionnelles animée par Jany Rouger.

Plusieurs réflexions suite à ces interventions, parce que les productions locales de terroirs et « identitaires » sont toujours plus reconnues et réclamées, parce que de nombreuses ZAD(Zone A Défendre) ont essaimé partout, parce que les sentiments sont à la biodiversité etc. …

Alors question, après une époque de prise de conscience et de revivification des cultures traditionnelles, pourquoi dans la mouvance actuelle, ces cultures locales et populaires sont-elles de nouveau en cassure dans leurs usages, et en rupture dans leurs transmissions ?

Certes, vaste programme dans lequel les vingt chapitres de « Portrait du colonialiste », le livre de Jérémie Piolat, nous offre bien plus que vingt pistes de réflexions. Mais comme une bouteille à la mer en écho à ces derniers jours, un écrit sous forme de lettre ouverte pour une invitation à des échanges et des réflexions communes.

« Le sens c’est l’importance que l’on donne » petite phrase un peu formule certes, mais c’est avec ce leitmotiv que je décide l’envoi de cette lettre ouverte.

Commençons avec des mots de Jérémie Piolat et de Ivan Illich dans « Portrait du colonialiste » qui auraient pu (même dû) être fils conducteurs de cet après-midi 4 février 2015 lors des assises du CPMDT pour parler du colonialisme de l’effet boomerang de sa violence et de ses destructions.

« La professionnalisation du langage le prive de son aspect sensible, émotionnel. Quand son apprentissage devient le fait d’une caste de professionnels, on ne l’apprend plus par quelqu’un avec lequel on a une relation sensible, bonne ou mauvaise, mais on l’apprend de quelqu’un avec lequel on a pas d’autre lien que celui de l’enseignement. Cela devient « une rhétorique morte et impersonnelle de gens payés pour déclamer et d’un langage qui ment implicitement quand je l’utilise pour vous dire quelque chose en face… ».

Pour parler « cultures » il est nécessaire de préciser la signification que l’on donne à ce mot. Et là, je l’évoque en référence à cet extrait tiré de « L’Occident mondialisé, Controverse sur la culture planétaire».

« Les cultures populaires et traditionnelles s’affirmaient comme singulières et locales, fragmentées en même temps qu’immobiles. La « culture cultivée » baignait dans la rareté des signes aristocratiques ou bourgeois s’opposant avec hauteur à la culture populaire. La culture-monde, elle, se déploie dans le règne de l’universalité cosmopolitique, du changement perpétuel…. »

Ce dernier extrait permet de souligner l’implicite connivence de slogans comme « La mémoire en mouvement, Les nouvelles Musiques Traditionnelles….. » , ou l’intérêt des règles de l’ADAMI « Il n’y a pas d’industries culturelles sans artistes, Artistes-interprètes, nos talents ont des droits…» voir des propos du CPMDT « Parce que ces musiques, parfois encore communautaires sont aussi l'expression contemporaine d'une alternative…. Parce qu'il y a danger à déconnecter leurs transmissions, des enjeux artistiques » .

Ici on a parlé rythme cadence, ailleurs on scientifise tonal, modal, arythmique, démesure, tempéré, non tempéré etc.… sans voir que la professionnalisation savante et apollinienne de nos cultures populaires contraire à sa pulsion dionysiaque contribue à casser l’élan vital générateur et régénérateur de celles-ci. Tétanisé dans cette professionnalisation artistique tendance élitiste ou performante tout un chacun frustré consomme en spectateur rompant la chaîne des transmissions. Il me plait de croire qu’il y avait certainement plus d’expression et de transmission dans cette anecdote du violoneux qui, toute une nuit, fit danser une noce entière avec seulement deux morceaux à son répertoire. Je me trompe peut-être, mais, et ceci à l’attention des jeunes amateurs de nos cultures, sachez que dans les enquêtes nous avons rencontré bien plus de témoignages de musiciens ou chanteurs porteurs de cinq, six morceaux ou chansons que de « performeurs » à deux cent musiques ou chansons.

Pour certains, « La folklorisation et la médiocrité ont déjà gagné quelques belles batailles », pour cela, ils eurent la faiblesse de croire que la professionnalisation permettrait à nos cultures de rester vivantes. On voit bien là que le concept d’une « élite éclairée » nécessaire pour guider un peuple par nature ignorant voire stupide est toujours vivace.

D’autres moins réflexifs, également affublés du terme « culture » voire même « identitaire » mais ne saisissant aucun parallèle avec l’agriculture « subventionnée » en comparaison à la paysannerie ancestrale, un laconique: « que veux-tu il faut bien vivre ! » sans importance leur suffit à donner sens.

C’est en se différenciant que l’on devient, ne perçoivent-ils pas que la culture-monde assistée de cet outil « le professionnalisme subventionné » est un piège, un moyen d’être les mêmes et d’y réduire les autres ?

La biodiversité ne sera sauvée de son principal prédateur que s’il y a sauvegarde des diversités culturelles, saisissent-ils que ces professionnalisations « économiques », cette marchandisation, toutes ces industrialisations culturelles réduisent les diversités culturelles en diversités artistiques donnant prise au narcissisme scénique qui petit à petit éradiquent et remplacent les cultures populaires ? Ne restera t-il plus que les religions pour faire âme commune ?

Nos anciens dans des propos tels « un petit chez soi vaut mieux qu’un grand chez les autres » à l’exemple des civilisations colonisées qui, avant destruction par le délire Occidental, avaient conscience de l’hubris, apprenaient tous aux jeunes gens à contrôler leurs pulsions et vivaient, pour certain depuis des millénaires, dans une « common decency » propre à chaque culture.

Accointé à la culture-monde « le professionnalisme subventionné » invente le récit de l’humanité, réalise le métissage des cultures non par addition mais par soustraction et par-là même, s’emploie à faire disparaître les occasions de contentements et d’estime de soi. Affaibli, détruit, l’être devient consommateur se tourne vers l’avoir et consomme, consomme, consomme toujours plus de spectacles, toujours plus de tourismes. « Sans décoloniser et élargir son imaginaire, on ne choisit pas, ou en apparence seulement : on subit, en spectateur de sa vie et du monde. On reste assis, donc à genoux, esclaves modernes d’un pouvoir qu’il nous revient de désacraliser. Parce que nos chaînes sont d’abord dans nos têtes. (Yannis Youlantas)».

Sans oublier que s’il y a subventionné il y a subventionneur.

L’Etat-nation « subventionneur », jacobin lui, poursuit son seul but : terrasser les peuples aux cultures résistantes, bien sûr, sans que les responsabilités soient cependant clairement assumées. Pour exemple, inaugurant la Maison de culture de Grenoble, André Malraux déclare que grâce à elle, « tout ce que Paris crée d’important sera vu ici dans les six mois ».

Les entreprises subventionneuses, elles, pour leur économie créent les besoins (marketing, pub., concerts, festivals, cours, stages, ateliers, etc. …). La professionnalisation, la mise en spectacle, la marchandisation de nos chants et musiques répondent à toutes ces attentes qui non plus rien à voir avec nos cultures populaires. Pour l’amateur, le bénévole, n’y aurait-il pas usurpation ? Forfaiture? Abus de confiance ? …

Dommage ce débat ne put avoir lieu, Jérémie Piolat resta bloqué sur les hanches notion pertinente et je me souviens, déjà soulevée au début des années 70 lorsque nous établissions les chorégraphies de nos spectacles folkloriques, pour les enchaînements avec les pieds pas de problème mais avec le haut du corps, hormis les chaînes du quadrille. ...

Revenons sur cette règle de l’ADAMI « Artistes-interprètes, nos talents ont des droits… » Passé la simple conjoncture économique de ce propos, évoquons les premières lignes de « L’enracinement ». Dernier ouvrage de celle qui ouvrit dès les années 30 la piste d’une oppression d’une nouvelle espèce, l’oppression au nom de la fonction (Radicalité page 382), Simone Weil : « La notion d’obligation prime celle de droit, qui lui est subordonnée et relative. Un droit n’est pas efficace par lui-même, mais seulement par l’obligation à laquelle il correspond ; … » En ces temps funestes et charlots de remise en cause du droit d’expression, il semble bon de rappeler «..Une obligation est efficace dès qu’elle est reconnue. Une obligation ne serait-elle reconnue par personne, elle ne perd rien de la plénitude de son être. Un droit qui n’est reconnu par personne n’est pas grand chose… » . Le sens c’est l’importance que l’on donne et passé les bornes il n’y a plus de limite…..

Us et coutumes populaires colonisés, artificialisés, professionnalisés, marchandisés finissent « déracinés » et vagabondent hors-sol.

« L’enracinement est peut-être le besoin le plus important de l’âme humaine. C’est un des plus difficiles à définir. Un être humain a une racine par sa participation réelle, active et naturelle à l’existence d’une collectivité qui conserve vivants certains trésors du passé et certains pressentiments d’avenir »(Simone Weil- L’enracinement).

Et piquez-donc belle Madeleine, et piquez-donc belle Madelon petite polka piquée dans une participation-transmission gratuite et naturelle diffuse plus d’âme, cette petite parcelle d’un monde qui donne à chacun sa petite étincelle de divinité, que la participation-centralisation payante au spectacle subventionné, d’un maestro professionnel réclamant son droit de toucher ses droits d’auteurs

Cependant de nouvelles fonctions sont amenées à supplanter la professionnalisation complice de l’actuelle situation. Le développement technologique à l’aide d’outils numériques, informatiques, cybernétiques et autres nanotechnologies… ne devient-il pas le garant d’une nouvelle ère de colonisation ?

L’immense majorité a aujourd’hui son portable, indispensable n’est-ce pas ? Avec l’ordinateur connecté deux beaux exemples d’outils qui comme nos cultures populaires subventionnées, professionnalisées, marchandisées, sont passés de la maniabilité à la « manipulabilité » pour clore ce propos en clin d'œil à « La Convivialité » de Yvan Illich.

Et comme nous avons commencé avec les mots de Jérémie Piolat, terminons avec les siens.

« Il nous appartient de décider si nous voulons ou non être les héritiers de ce ravage. »

PS : Pour qui cette lettre ouverte direz-vous ?

« Mal nommer les choses, c'est ajouter au malheur du monde » percevait Albert Camus : Art –culture –peuple –pays sont des mots pervertis du pluriel au singulier dans le langage manichéen du néocolonialisme-entrepreneurial.

Lettre ouverte aux institutionnels, aux professionnels qu’ils soient interprètes ou créateurs mais subventionnés sous la perfide bannière « Le Monde de LA Culture », car où commence, où s’arrête la complicité de colonisation marchande et mercantile à une civilisation occidentale hégémonique quand «l’art » se nomme « culture » pour s’exercer aux quatre coins de l’hexagone voir de la planète? Même sous de fallacieux prétextes démocratiques.

Lettre ouverte à tous ceux qui estiment qu’un éternel subventionnement des diversités artistiques ne pourra pas nous distraire et nous consoler plus longtemps des fermes à mille vaches, des céréaliers à mille hectares grassement subventionnés, des hommes faux et des journaux menteurs tout aussi subventionnés et que l’effet boomerang de cette mondialisation-colonisation devient de plus en plus sanglant.

le « professionnalisme-subventionné » ou la nouvelle colonisation

Publié dans Eco-citoyenneté, Culture

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